mercredi, février 22, 2006

Comment on discrédite

[... ceux qui protestent e. a. contre l'instrumentalisation à outrance du concept d'islamophobie, et la sous-traitance de l'état marocain dans les gestion des flux migratoires...]

Lundi 26/12/2005, Un_mail_très_intrigant...

Bonjour,

Depuis la création du Collectif Bel Younech, au mois de mai passé, en réaction à la répression dont sont victimes les migrants subsahariens au Maroc, un débat vigoureux oppose les initiateurs de ce collectif,et dans un deuxième temps de son élargissement à travers la "Coordination SOS Migrants", et certains tenants d'une vision makhzénienne des choses. Ce débat s'exprime depuis quelques temps dans le cadre du Forum du MRAX.

Tous les coups semblent permis, vous allez vous en rendre compte.
Utilisant, hors de son contexte, évidemment, un poème que j'ai écrit pour dénoncer la collusion des réactions religieuses contre le droit d'adoption des gays en Belgique, un de nos contradicteurs, sur les sites du MRAX et de Wafin, parle à propos de ce texte, de "haine anti musulmane", et me renseigne à la vindicte publique dans un bel effort de "dénonciation citoyenne".

Or, au même moment, un ami de Tanger, militant des droits de l'homme, reçoit dans sa boîte mail, outre la reproduction du même poème, ce qui constitue une coincidence intéressante, le texte suivant:

"Bonjour,

J'ai appris que Monsieur Noël venait au Maroc avec de jeunes marocains de Bruxelles pour un projet d'échange avec les enfants de la rue de Tanger. Ce monsieur est dangereux, il hait le Maroc, les Marocains, l'islam. Voici un texte qu'il a écrit sur l'islam et son amour d'un Marocain du bled. Il est aussi un acharné anti-roi du Maroc.

Il manipule les jeunes des quartiers, mais il leur monte la tête, c'est honteux et en plus vous l'acceuillez et vous lui faites la pub alors qu'il continue à nous mépriser et à nous cracher dessus.

S'il va au Maroc, c'est pour son amoureux, il sait que Tanger c'est le centre de la prostitution des homos dans l'Afrique et même le monde.Faites atention et ne laissez pas nos enfants avedc ce pervers qui a avec un autre de ses amis homos tourné des films pornos avec des jeunes hommes pour soit disant leur émancipation et leur apprendre l'homosexualité.

Je suis dégoûté que vous donniez autant de crédit à un raciste qui hait l'islam mais qui va vous pondre des mots mielleux pour vous embobiner. Lisez ce qui suit et faites votre opinion.

STOP A LA PROSTITUTION MAROCAINE POUR LES PERVERS D'EUROPE."


Voilà. Suit le poème incriminé, que vous pourrez trouver par ailleurs sur le forum du MRAX et le site de Wafin, pil poil au même moment, grâce aux bons soins d'un de nos contradicteurs. (..)

Je suis actuellement à Tanger, avec 25 jeunes et encadrants de l'association "Interpôle", d'origines marocaine, belge et turque, qui rencontrent une quarantaine de jeunes tangérois, non pas enfants des rues mais membres de diverses associations partenaires, pour des ateliers de vidéo, de théâtre et de musique sur le thème des enfants des rues, des débats, des visites d'associations...

Le mail dont je vous parle a été envoyé à une adresse marocaine, et sans doute à d'autres. On y trouve le très ancien amalgame entre "homos", "prostitution", "porno" et "manipulation de jeunes gens". Au Maroc, l'homosexualité est punissable de 5 ans de prison. L'expéditeur, pas encore identifié, le sait.

L' "amoureux du bled", lui, est à Bruxelles. Et nous allons nous marier, conformément à la loi belge.

Tout ceci a donc commencé autour de la question des subsahariens qui sont victimes de la répression au Maroc. D'autres enjeux, notamment autour du MRAX se jouent à travers cette question.

Ici, au Maroc, on a tendance à ne plus s'émouvoir des manoeuvres nauséeuses dont certains zélateurs très obtus du makhzen sont capables pour salir ses adversaires. Chez nous, en Belgique, lorsque nous nous engageons corps et âme dans des combats pour les droits, dans des débats, nous avons peut-être du mal à nous imaginer ce genre de chose possible.

Dans l'immédiat, et pour ce que j'en sais, ce mail est une manoeuvre aux petits pieds, qui pue, certes, mais ne tue pas.

Pour votre information, donc, et à suivre, comme dit l'autre, qui sait?

Serge Noël



[Cette manoeuvre "à la fois écoeurante et dérisoire" fera l'objet du texte de protestation suivant, cosigné par des responsables associatifs marocains, qui dénoncent le rôle joué par "certains intellectuels et prétendus faiseurs d'opinion dans la communauté belge d'origine marocaine" dans l'étouffement de toute critique visant le pouvoir marocain.]

Au Maroc comme en Belgique...
Des valeurs et des débats universels.


Un débat agite une partie de la communauté des belges d'origine marocaine aujourd'hui. Peut-on critiquer l'Etat marocain, peut-on dénoncer des situations comme celle de la répression des migrants subsahariens au Maroc, et les encouragements répétés à la xénophobie et à l'égoïsme national émanant d'une certaine presse et du pouvoir ? Peut-on attirer l'attention sur le fait que ces pratiques et ces propos sont proches de ceux de l'extrême-droite européenne ? Peut-on pointer du doigt cette xénophobie latente contre les Noirs Africains, aujourd'hui réchauffée par les tenants d'une politique sécuritaire et répressive impulsée par l'Europe au Maroc ? Peut-on défendre les droits humains, s'élever contre les abus de pouvoir qui sont encore la règle ? Peut-on attirer l'attention sur le caractère extrêmement fragile et ambigu d'un processus de démocratisation et d'établissement de l'état de droit présenté comme un bon plaisir du prince en cadeau à son peuple de sujets obéissants ? Peut-on revendiquer un statut de citoyens plein et entier, en toute liberté et en toute indépendance vis-à-vis du pouvoir ? Peut-on rappeler que deux Maroc, deux " patriotismes " s'affrontent depuis toujours, depuis bien avant l'indépendance : celui du Makhzen, appareil de pouvoir et de contrôle de la société, de nature quasi féodale, au service de clans privilégiés qui considèrent le Maroc comme leur propriété, et celui des citoyens, de leurs associations, de leurs partis et de leurs syndicats, qui ont lutté pour l'indépendance et résisté contre la dictature ?

Peut-on faire tout cela sans être accusé de comploter contre le Maroc, d'être raciste anti-marocain, d'avoir des comptes personnels à régler avec le Maroc ?

Apparemment, pour certains "intellectuels" et prétendus faiseurs d'opinion dans la communauté belge d'origine marocaine, la réponse est non. Ils veillent, sentinelles de l'honneur et de l'intégrité marocaine, et répandent la terreur contre tous ceux qui voudraient exercer leur devoir critique et défendre, pour le Maroc, comme pour la Belgique et ailleurs, les valeurs élémentaires des droits de l'homme. Beaucoup de démocrates et de militants anti-racistes en Belgique se sentent intimidés par ces manœuvres. Ils n'osent pas exprimer franchement leurs opinions, de peur d'être fourrés dans le sac des crypto-racistes et anti-marocains de base. D'autres pensent secrètement que les questions des droits de l'homme sont traitées autrement entre arabo-musulmans, qu'il s'agit peut-être d'un legs imposé par l'Occident, qu'il faut laisser les Marocains régler ces affaires entre eux.

Pour nous, militants et responsables associatifs et des droits de l'homme, Marocains au Maroc, il existe une culture mondiale commune : celle des droits humains, celle des instruments, conventions et déclarations des droits humains, qui sont le bien de toute l'humanité, qui méritent d'être défendus par-delà les frontières et les différences culturelles. Qui ont du reste été construits par l'histoire de toute l'humanité, dont celle de l'islam, religion de tolérance et d'ouverture pendant des siècles, et qui doit aujourd'hui retrouver le débat et la contradiction libres. Nous sommes aux premières loges de cette bataille, ici, dans notre pays, le Maroc, lorsque l'Etat mène des campagnes violentes de répression contre des civils innocents sous prétexte qu'ils sont Noirs, qu'ils " envahissent " le Maroc, alors qu'ils représentent moins de 0,5% de la population. Lorsque des journaux et des représentants du pouvoir se permettent de parler de " crickets noirs ", d' " invasion ", de " bandes militairement organisées ", de " réseaux manipulés par l'Algérie ", etc, etc… Lorsqu'une xénophobie quotidienne et certes moins spectaculaire inflige à ces innocents qui ne cherchaient qu'un avenir meilleur et paisible, des discriminations, des injures, des agressions largement impunies. Ces faits sont graves et menacent les fragiles avancées d'un état de droit chez nous. Les dénoncer, et dénoncer l'attitude sécuritaire et inhumaine des autorités marocaines, à la solde d'une politique européenne tout aussi inhumaine, est légitime et nécessaire, ici au Maroc comme en Belgique et ailleurs. De même, dénoncer les atteintes à la liberté d'expression et de presse, qui se multiplient ces temps-ci, est nécessaire et légitime au Maroc comme en Belgique. Ainsi de suite pour tout ce qui menace les droits encore si ténus des citoyens marocains.

Nous, militants et responsables associatifs et des droits de l'homme au Maroc, nous sommes des patriotes. Beaucoup d'entre nos amis ont donné des années de leur vie, dans les prisons, sous la torture, ont été victimes des pressions, des délations, des diffamations du pouvoir, pour assumer leurs responsabilités de citoyens et de patriotes marocains, pendant les années de plomb. Certains ont disparu. Nous gardons leur exemple en mémoire. Il existe d'ailleurs une très ancienne tradition de solidarité entre les démocrates belges et marocains, qui a permis, durant les années de plomb, de renforcer notre combat et de tirer des griffes de la répression de nombreux militants au Maroc. Nous refusons que de pseudo-représentants d'un Maroc qui n'est pas le nôtre prétendent aujourd'hui interdire à quiconque d'être solidaire de notre combat, au nom d'un patriotisme perverti qui n'a rien à voir avec la citoyenneté et les droits des Marocains.

Dans cette bataille des idées et des convictions, tous les coups semblent permis, de la part de ces "patriotes" de commandite. Notre camarade Serge Noël, qui se bat à nos côtés pour les droits humains des migrants subsahariens, pour les droits des enfants, dont plus de 600.000 travaillent encore en dessous de 15 ans ici, est aujourd'hui la cible de manœuvres ignobles. Nous connaissons ce genre de manœuvres. Nous savons de quoi certains zélateurs du Makhzen sont capables, lorsqu'ils se sentent acculés sur le fond d'un débat. Souhaitant dépasser le cadre de cette manœuvre à la fois écoeurante et dérisoire, nous nous adressons aujourd'hui à tous les militants belges des droits de l'homme. Nous leur disons : ne vous laissez pas intimider par les discours de certains. Critiquer les atteintes aux droits de l'homme, l'ambiguïté fondamentale du pouvoir marocain en la matière, c'est aider les démocrates marocains à renforcer les acquis démocratiques, les droits, c'est encourager la société civile et politique marocaine dans la construction d'un état de droit qui sera avant tout l'œuvre de ses citoyens, de leur sens des responsabilités, de leur courage et de leurs mobilisations. Soyez, avec nous, patriotes pour un Maroc citoyen, démocratique, où les mots justice sociale et droits humains ne seront plus de simples incantations, des discours, de bonnes intentions.

Tanger, le 4 janvier 2006.

Ali Tabji, membre du Comité central de l'Association marocaine de défense des Droits Humains, Boubker Khamlichi, responsable du réseau associatif du Nord Chabaka, Rachid Ghbalou, responsable de l'association Espoir théâtral pour les enfants, Khalil El Haddad, responsable de l'Association Marocaine pour l'Education de la Jeunesse.