Décidément, certain-e-s comprennent plus vite que d'autres...
Jeudi 5 mai 2011
Monsieur le Président du Conseil d'Administration du MRAX,
Cher Placide,
Chèr(e)s administrateur-ice-s,
Par la présente, je vous informe de ma décision de démissionner des postes de vice-présidente et administratrice que j’occupais au sein du Mrax. En effet, je ne me retrouve plus dans son fonctionnement actuel et dans les orientations du CA. Mais avant d’en arriver aux raisons de mon départ, il est important de vous expliquer le sens de mon engagement au sein du Mrax et la vision politique que je défends pour l’antiracisme.
Pour un antiracisme offensif, solidaire et qui prône l’émancipation
Dans un contexte de montée croissante de l’intolérance et du racisme en Europe, la nécessité d’un mouvement antiraciste offensif, solidaire et prônant l’émancipation est indéniable.
Offensif car, aujourd’hui, non seulement l’extrême-droite progresse, mais surtout ses idées se banalisent dangereusement parmi une large composante de la société. Ce constat se vérifie même dans certains milieux progressistes où la volonté de ne pas laisser le terrain à l’extrême-droite justifierait, de façon tout à fait contradictoire, des mesures discriminatoires afin d’en enrayer la progression (renforcement du contrôle sur l'immigration, durcissement des mesures pour accéder à la nationalité belge, interdiction du port de signes religieux, etc.). Dans un contexte où les attitudes et les comportements discriminatoires sont de plus en plus revendiqués, le mouvement antiraciste se doit par conséquent de défendre une vision de la société radicalement égalitaire. Cela suppose notamment de repenser systématiquement l’organisation de la société afin qu’elle ne soit plus le reflet des seuls groupes dominants. Il ne s’agit plus d’être sur la défensive face aux attaques, mais d’aller de l’avant pour changer ensemble la société.
Le racisme n’agit pas dans un monde isolé des autres luttes sociales. Bien souvent, les personnes victimes d’exclusion le sont sur base de multiples facteurs parmi lesquels : l’origine sociale, le genre, la religion, l’orientation sexuelle, etc. Face à ceux qui défendent un modèle de société basé sur la domination de certains groupes sur d’autres, la convergence des luttes est une nécessité absolue pour ne pas être pris au piège du « diviser pour mieux régner ».
Enfin, l’émancipation est une des finalités du combat antiraciste. Celle-ci suppose que les victimes de racisme et de discriminations ne soient pas simplement les spectateurs des luttes qui sont menées, mais se les approprient. Cette vision ne suppose pas pour autant que les personnes qui ne sont pas issu(e)s des minorités sont illégitimes. En effet, l'antiracisme ne consiste pas à dresser les minorités contre le reste de la société mais à combattre l'organisation de celle-ci qui engendre les actes racistes et discriminatoires. Plus nous serons nombreux à lutter contre le racisme, mieux nous le ferons reculer.
Ce souci de rassembler les forces pour lutter contre le racisme a toujours été celui du Mrax depuis les origines. Le CA issu des élections de 2004 a voulu ouvrir davantage le mouvement aux membres des minorités discriminées. C’est sur la base d’un profond accord avec cette option politique que je m’y suis engagée en 2006. Malheureusement, je suis forcée de constater que, depuis quelques années, les dysfonctionnements que je décris ci-dessous dominent l’association au point de l’étouffer.
L’indépendance politique du mouvement en péril
Un atout principal du Mrax, une de ses raisons d'être qui le rend fiable et incontournable, est son indépendance politique. Deux événements récents mettent sérieusement à mal cette capacité de l’association à affirmer celle-ci vis-à-vis des partis politiques.
1) Au mois de mai 2010, l’échevin CDH de la ville de Bruxelles, Bertin Mampaka, avait pris l’initiative d'introduire des plants de moutarde sur un terrain de la commune que les Gens du voyage occupent occasionnellement. L’objectif était de chasser ces occupants indésirables. À l’époque, j’avais émis le souhait que le Mrax réagisse par voie de communiqué à cette mesure inacceptable, mais le point n’a pas été mis à l’ordre du jour du CA. Une réunion avec le cabinet Milquet avait été promise pour « comprendre » qu’elles étaient ses véritables intentions. Cette réunion n’a jamais eu lieu.
2) Il y a quelques semaines, la ministre CDH de l’Égalité des Chances, la vice-première Joëlle Milquet, a lancé un appel pour la création d’un Conseil national des Roms. A plusieurs reprises, j’ai tenté, en vain, de saisir le Conseil d’Administration à la demande du Groupe de travail d’Education permanente « Gens du voyage » dont j’étais l’administratrice responsable, afin que le Mrax puisse émettre ses réserves à l’égard de cette proposition et en informe la ministre par le biais d’un courrier rédigé par le groupe de travail lui-même. Les risques de voir un tel organe instrumentalisé sont importants et la majorité des acteurs de terrain sont hostiles à cette mesure. Une promesse de rencontre informelle entre le cabinet et les membres du G.T. n’a pas été tenue.
La participation active du Mrax et de certains de ses membres dans le processus des Assises de l'Interculturalité, initié par la ministre Milquet, ne peut justifier la soumission de l’association à l’égard d’un parti ou d’une personnalité politique. Dans le but de faire pression efficacement sur les pouvoirs publics et favoriser l’émergence de politiques égalitaires, le Mrax doit en effet conserver sa capacité à émettre des critiques à l'égard de n'importe quel parti politique.
Une stratégie qui mène à l’isolement
Les partenaires privilégiés du Mrax sont aujourd’hui beaucoup moins nombreux qu’ils ne l’étaient par le passé. Bien au-delà des attitudes frontalement hostiles, la méfiance à l’égard de l’association s’est largement généralisée. Cette situation s’explique notamment par le manque de volonté de rassembler au sein du CA, qui a abouti au départ d’un nombre important d’anciens membres et d’administrateurs qui ont fini par former un vaste réseau qui discrédite l’association à l’extérieur.
Si certains de ces départs s’expliquent par des divergences politiques (trop d'importance accordée à la lutte contre l’islamophobie, ouverture aux minorités etc.), la majorité trouve leur origine dans le fonctionnement du CA qui a été de moins en moins capable de gérer la pluralité des points de vue. A cet égard, on pourrait dire que l’absence de pluralisme des idées n’est pas compensée par le « pluralisme des couleurs » dans la composition du dernier CA, tel qu'il est sorti des élections de juin 2010.
Notons toutefois que ce constat n’est vrai que pour le CA et non pour ce qui concerne les membres actifs. En effet, le Mrax n’a pas été capable jusqu'à présent de s’ouvrir à de nouveaux publics. Ainsi, la participation active des personnes victimes de discriminations est en partie un échec. À Bruxelles comme en Wallonie, les groupes minoritaires sont pourtant nombreux : Belges d’origine arménienne, turque, marocaine, italienne, congolaise, rwandaise, polonaise, Roms, Gens du voyage, musulmans, juifs, etc. Seuls certains de ces groupes ont pris une part plus active dans les activités du Mrax ces dernières années. Si cette situation n’est pas le reflet d’une volonté explicite du CA d’exclure certaines minorités du Mrax, force est de constater que des mesures proactives n’ont pas été prises afin que la réalité colle au discours de l’ouverture aux minorités.
Parmi les partenaires progressistes les plus importants avec qui le Mrax n’entretient quasiment pas de relations, il y a les organisations syndicales. Celles-ci sont pourtant des partenaires incontournables, notamment en matière de lutte contre les discriminations à l’emploi. À titre d’illustration, voici une proposition évoquée lors d'une réunion du CA : afin d'alimenter les fonds propres de l’association, il a été imaginé de proposer aux entreprises des prestations de consultance en matière de diversité. Plutôt que de mettre en œuvre avec les syndicats l’obligation faite aux employeurs de ne pas discriminer, y compris en leur imposant des contraintes fortes, ce projet proposera des mesures symboliques sans effet, à l’image des chartes de la diversité.
Un autre exemple est donné par le communiqué de presse du mois de décembre dernier que le Mrax a diffusé à propos de la publication des origines des candidates du concours Miss Belgique. J’avais alors demandé qu’une mention soit rédigée sur le caractère profondément sexiste et dégradant de ce concours, mais le CA a rétorqué que cela ne correspondait pas à l’objet de l’association. Quelle cohérence cela a-t-il pourtant de refuser d’enfermer les minorités dans des préjugés racistes en vue de les exploiter, tout en acceptant d’enfermer les femmes dans des préjugés sexistes pour les exploiter tout autant ? Doit-on en conclure qu’il existe des formes plus acceptables de domination ?
Ces positions illustrent à quel point la convergence des luttes sociales ne fait pas partie des options stratégiques dans lesquelles le CA actuel est en train de s’engager.
En dehors des divergences politiques, je voudrais insister sur les dysfonctionnements internes.
Dysfonctionnements au niveau du CA
Le fonctionnement du CA actuel est réellement problématique. Des prérogatives essentielles d’un administrateur, comme celle de pouvoir mettre n’importe quel point à l’ordre du jour, ne sont même plus respectées. Comme je l’ai évoqué plus haut, j’ai par exemple demandé qu’un point soit mis à l’ordre du jour suite à la position exprimée par les membres actifs du Groupe de Travail « Gens du voyage ». Plusieurs mois se sont écoulés, et finalement, la ministre a divulgué publiquement sa proposition sans que l’avis du GT n'ait été discuté. Le GT Gens du voyage a d’ailleurs fini par se dissoudre dans l’indifférence générale du CA, probablement parce qu'il s’agissait d’un des rares GT bénéficiant d’une certaine autonomie.
Le CA et le bureau, qui en est une émanation directe en charge de la gestion journalière, ne remplissent plus leur rôle politique. Ainsi, le communiqué de presse que le MRAX a diffusé récemment à propos des événements islamophobes autour de la future mosquée de Lodelinsart n’a pas été approuvé par l’organe compétent, à savoir l’ensemble du bureau. Plus précisément, le directeur a envoyé une proposition de communiqué par courriel qui devait être approuvée… dans le quart d’heure avant d’être envoyée, manière de faire justifiée par l’urgence. Le problème est que l’urgence est devenue le seul mode de fonctionnement du Mrax.
Les crises que le Mrax a connues, dues en partie à des dysfonctionnements du CA, ont provoqué cet état d’urgence permanent qui justifie l’absence de concertation, de débats et d’autocritique au nom de la survie de l’association. Un exemple parmi d’autres : une réunion mensuelle du Conseil d’ Administration a été annulée en novembre 2010, sous prétexte que nous devions atteindre notre quota d’heures d’éducation permanente avant la fin de l’année (heureusement atteint en 2010, grâce à la volonté et l’énergie déployée par deux administrateurs, dont l’actuel directeur).
Et plus fondamentalement, à l’heure actuelle, les axes programmatiques et la ligne politique n’ont toujours pas été définis alors qu’il s’agit d’une tâche primordiale que le CA est le seul à pouvoir légitimement mener. Ces discussions sont d’autant plus essentielles que la moitié des membres du bureau n’avaient quasiment pas d’expérience au sein de l’association avant d’être élus.
Suite à la perte de nombreux subsides, le Mrax se trouve actuellement dans une situation financière extrêmement délicate. À de nombreuses reprises, j’ai demandé qu’un plan d’action soit pensé pour y remédier et trouver une solution. À ce jour, rien n’a été fait (ou peut-être que tout a déjà été fait mais sans que nous en soyons informés), mais il a été promis que tout serait prêt pour l’Assemblée Générale de juin.
Les méthodes d’intimidation
Bien évidemment, les situations d’urgence requièrent un bouc-émissaire, un ennemi à contenir qui justifierait toutes les mesures autoritaires au nom de la sauvegarde de « la cause ». Tous ceux et toutes celles qui expriment des points de vue divergents par rapport à la doxa (y compris parfois sur des détails pratico-pratique) deviennent systématiquement des adversaires. Beaucoup de personnes liées à l’association en ont fait les frais par le passé. Mais les choses ne s’arrêtent pas là, certaines méthodes employées à mon égard sont particulièrement détestables : c’est ainsi que j'ai été qualifiée par certains d’hystérique dont le comportement ne serait dicté que par ses émotions et ses angoisses. Plus grave, comme conclusion d’une réunion de CA au mois de décembre, lorsque je dénonçais dans l’indifférence générale certains manquements graves (relégués au point divers de l’ordre du jour !!) à l’origine de ma prise de distance avec le CA-notamment sur les absences de réunion de CA en novembre, de consultation du bureau pour le choix des thèmes de discussion au sein des G.T. pilotés par le président sortant et de discussions en interne sur les recommandations des Assises de l'Interculturalité,- j’ai eu droit à ces paroles glaçantes : « Tu essaies d’exister, mais en vain »
Et pour tenter de me faire taire, une technique particulièrement perverse a même été un moment imaginée : la méthode du « binôme ». Cela consiste à réunir certains administrateurs par groupe de deux, dont un seul peut s’exprimer au nom du binôme, me privant ainsi de tout moyen d’expression, sous prétexte de retrouver le calme au sein du bureau ! C’est ainsi qu’on a voulu me réduire à l’état de potiche…..
Ces propos, ces attitudes violentes et sexistes visent à discréditer ma position critique vis-à-vis du travail du CA et de la direction, à m’isoler, en jouant entre autres, sur les préjugés qui collent aux femmes, d’autant plus qu’il n’y en avait que deux au CA.
Les rapports de force cèdent la place à la réflexion collective
Pourtant, les critiques et propositions que j'émettais, visant à renforcer la force de frappe de notre mouvement, étaient généralement partagées par des administrateurs comme il apparaissait lors de discussions tenues en privé. J’ai même été à de nombreuses reprises encouragée à maintenir mes positions critiques. L'un d'entre eux m'a même dit : « il faut que tu restes, sinon il n'y aura plus personne pour résister ».
Et le problème est bien là : face à cette gestion dans l'urgence imposée à tous les échelons de l’association, face à l’impérative nécessité de remplir le cadre dirigeant, le CA ne mesurant pas correctement la portée de sa décision, s’est mis en situation de démission virtuelle en cédant une grande partie des ses pouvoirs au directeur engagé mi-février 2011.
Depuis la nomination de la nouvelle direction, la plupart des décisions importantes (non-remplacement du personnel professionnel indispensable, plan financier, opportunité des réactions politiques) sont au bout du compte, prises par elle sans plus tenir compte des recommandations du CA. La direction veut tout contrôler, imposer son rythme de travail et même administrer… les administrateurs. Un exemple concret : face à l’opacité des informations qui nous ont été fournies concernant un subside, j’ai décidé, en tant qu’administratrice, de me renseigner directement auprès du pouvoir subsidiant, ce qui s’est d’ailleurs révélé utile et devrait nous inciter à procéder à des changements d’option. Résultat : j’ai été accusée « de sabotage comparable à certains travailleurs qui parasitent ».
Quant aux décisions prises ensemble, elles ne sont pas appliquées dans les délais convenus (état des lieux financier et carte blanche). Le comble c'est qu'aucun procès-verbal n'a été approuvé par les administrateurs actuels depuis leur entrée en fonction en juin 2010 car en attente de relecture par le directeur (certains n'ont toujours pas été rédigés).
Cette vision messianique de son propre rôle, le directeur – ancien Président du CA- l’a exprimée explicitement dans un échange de mail qu’un ancien administrateur a divulgué il y a quelques mois : « Vous ne devez pas me suivre seulement sur les points politiques… vous devez également me soutenir sur les rapports de pouvoir… car les deux sont intimement liés ». Aujourd’hui, la réflexion collective et le travail autour d'enjeux idéologiques et politiques ont fait place aux rapports de pouvoir.
Et alors qu’objectivement la situation du Mrax s’est très fortement détériorée à tous les niveaux, le CA a mis en place des mécanismes de défense psychologique qui consistent à s’autocongratuler systématiquement du travail accompli, parfois dans des dimensions complètement absurdes (paiement d’un salaire, envoi d’un courrier, etc.)
Pas de second souffle sans une profonde remise en question
À ce stade, deux questions se posent légitimement : quelle est la nécessité d’une telle analyse critique et pourquoi la faire maintenant après mes 5 ans d’engagement au CA ?
Tout d’abord, il ne s’agit pas de renier mon engagement, ni les actions et prises de position du Mrax durant toutes ces années. J’assume entièrement les actions – positives et négatives – qui y ont été menées. Plus précisément, mon jugement s’est toujours basé sur la balance entre la pertinence de l’action politique du Mrax et les dysfonctionnements internes.
Durant les premières années, le bilan politique de l’association était positif. Le Mrax était dynamique, bénéficiait encore d’un réseau influent et prenait des positions fortes et pertinentes. À l’interne, le fonctionnement était loin d’être parfait, mais un équilibre s’était installé au sein du CA après une longue période de troubles.
Toutefois, cet équilibre a été rompu du fait de la volonté de certains administrateurs de dominer le Conseil d’Administration : les leçons du passé n’ont pas été tirées. Aucun mouvement ne peut pourtant faire l’économie de son autocritique : nos pires adversaires ne sont pas les populistes, mais notre propre vanité. De très fortes tensions sont donc réapparues, les départs fracassants se sont succédés au CA et au bureau, des grèves inédites ont été mises en œuvre (celles-ci mêlaient des revendications syndicales légitimes à de la diffamation et à des attaques contre le projet politique du CA). L’aigreur de certains les ont conduit à conclure des alliances malsaines avec de notoires populistes xénophobes pour tenter de décrédibiliser le Mrax. Les Assemblées Générales étaient systématiquement mouvementées. Quand les médias parlaient du Mrax, ce n’était plus pour exposer un point de vue antiraciste, c’était pour montrer le chaos qui y régnait.
Près de 2 ans après, le Mrax ne s’en est toujours pas relevé.
Le pluralisme, garant de l'esprit critique
Ma thèse est la suivante : tant que le Mrax n’aura pas retrouvé un véritable pluralisme, il sera incapable de se relever et de faire avancer le mouvement antiraciste. Ce que j’entends par pluralisme ce n’est pas qu’un membre de chaque parti politique fasse partie du CA. Ce n’est pas non plus le pluralisme multi couleurs revendiqué par le CA actuel. Le pluralisme dont je parle est celui qui, au sein d’une conception générale de l’antiracisme qui fait consensus, permet l’expression et la prise en compte des multiples stratégies possibles, des multiples alliances possibles, des multiples vécus du racisme possibles, etc. Le pluralisme est un garant de l’esprit critique car il permet la confrontation des idées, la remise en question permanente des stratégies en vue de les rectifier et de les rendre au final plus pertinentes.
Si j’ai décidé d’exposer les dysfonctionnements du CA, c’est pour démontrer à quel point ce manque de vision politique a abouti à des stratégies aberrantes qui menacent l’indépendance du Mrax et ne permettent plus une lutte efficace contre le racisme et les discriminations. Les éléments que j’ai livrés devraient permettre de nourrir les réflexions des administrateurs, membres et sympathisants sur le diagnostic de l’état du Mrax et de tenter de trouver les solutions à apporter pour relancer le mouvement.
Un mouvement en équilibre instable
J’avais hésité à présenter ma candidature, lors des élections de l’assemblée générale statutaire de juin 2010, vu les défections et la manière dont la composition du futur CA avait été « pensée ». Mais comme le mouvement risquait de s’écrouler faute de directeur et de comptable compétents, j’ai continué à assurer de plein gré, jusqu'à la prise de fonction du directeur mi février 2011, le travail administratif, financier et de gestion du personnel que j’avais accompli pendant de longs mois auparavant. Pour ce faire, j’ai pris conseil et consulté systématiquement le secrétariat social, son service juridique, la fiduciaire, le service éducation permanente de la communauté française, la Fesefa, Actiris, etc. Je n'engageais jamais l'association sans avoir été mandatée par les membres du CA. Ce travail quotidien était soutenu par les conseils d’un administrateur remarquable qui a quitté notre mouvement en juin dernier : Hamel Puissant. Si cette méthode de travail avait été maintenue, le Mrax ne serait sans doute pas aujourd'hui sous la menace d'un nouveau conflit syndical.
J’ai dû cependant me rendre à l’évidence très rapidement que j’étais réduite à assumer une position minoritaire et perdais petit à petit ma capacité d’influence au sein du CA. Mon découragement fut tel que j’ai été contrainte d’adresser un premier signe au CA remettant en cause mon engagement en son sein début novembre 2010. Le CA n’a voulu entendre ni mes critiques, ni mes propositions (décrites comme des «états d’âmes ») qui n’y ont d’ailleurs jamais été discutées jusqu’à présent! J’ai quand même « tenu » car chevillée à cette précieuse association -issue de la résistance aux persécutions nazies- encouragée par diverses personnes dont un ancien administrateur, fidèle ami du Mrax, Jean Marie Faux et par le soutien sans faille de mon compagnon de vie , membre effectif du Mrax.
Encore lors de ma nomination toute récente en tant que vice-présidente du CA, j’avais sincèrement l’espoir de communiquer mon expérience à la nouvelle présidence élue et de tirer avec elle les leçons du passé afin de trouver ensemble une voie nouvelle pour le Mrax.
Si j’ai choisi de partir maintenant, c’est après avoir tenté de maintenir un équilibre au sein du CA. Tant qu’il était possible de maintenir le débat vivant et une réflexion collective, j’estimais que ma présence au CA du Mrax avait encore un sens et que les choses pouvaient s’améliorer.
Quelles perspectives d’avenir pour le mouvement antiraciste ?
Peut-être qu’une des leçons à tirer de la crise au Mrax est que la lutte antiraciste ne passe pas nécessairement par le monopole d’une seule association. Bien qu’étant la plus ancienne, le Mrax n’est certainement pas la principale association antiraciste en Belgique. Même si depuis 2004 le Mrax s’est beaucoup rapproché des milieux populaires, notamment à travers les activités d’éducation permanente, pour les sensibiliser à l’antiracisme, d’autres associations s’y sont déjà fortement attelées, et souvent de manière plus étendue.
Une des perspectives qui pourrait dès lors être envisageable, serait de s’investir dans d’autres associations, mouvements et organisations progressistes afin de contribuer à l’émergence un peu partout d’un antiracisme offensif, solidaire et qui prône l’émancipation. Ainsi, nous sortirions de la logique d’isolement dans laquelle se trouve actuellement le Mrax.
Une autre perspective, complémentaire, serait d’aider à l’émergence d’associations représentatives des minorités discriminées afin qu’elles jouent un rôle de premier plan dans les luttes antiracistes. À ce titre, la mise en place d’un forum des minorités, tel qu’il en existe en Flandre ou dans d’autres pays, serait peut être une opportunité pour unir les luttes.
Toutes ces associations et ces mouvements devraient enfin être mis en réseau pour assurer la convergence des luttes et la solidarité dans l’égalité. Et le Mrax aurait assurément sa place dans un tel réseau.
Conclusion et Requête
Aujourd'hui, continuer à assumer mes fonctions au sein du Conseil d'Administration reviendrait à cautionner ses mauvaises pratiques. Je n'ai donc pas d'autres choix que de donner ma démission.
Je quitte donc le CA du Mrax avec déception et tristesse car je reste persuadée qu’un Mrax vivant et pluraliste est un outil percutant pour lutter contre le racisme et pour l’égalité.Dans cet esprit, je demande qu’un vrai débat ait lieu avec les membres lors de l’assemblée générale de juin 2011, sur les questions principales que je pose dans ce courrier ainsi que sur l’avenir de l’association, notamment au niveau de sa structure. J’espère qu’une discussion honnête et conséquente aura lieu entre temps au sein du CA.
Je reste bien entendu membre effective du Mrax et poursuis le combat de féministe antiraciste que je mène depuis trente ans déjà.
Je tiens enfin à exprimer tout mon respect envers ceux qui, parmi les ex- administrateurs, travailleurs et membres du Mrax, ont pris ou prennent le parti contre vents et marées, avec loyauté, dévouement et efficacité, de servir la cause des victimes de discrimination en leur rendant leur dignité.
Veuillez accepter Monsieur le Président du CA, chère administratrice, chers administrateurs, l’expression de ma considération.
Elisabeth COHEN
Membre du MRAX depuis 1998
Membre effective depuis 2000
Administratrice de 2000 à 2004 et de 2006 à ce jour.